Lina Benzerti
Rébus photographiques
« La photographie est une machine à capter plutôt qu’à représenter. Capter des forces, des mouvements, des intensités, visibles ou non ; non pas représenter le réel, mais produire et reproduire du visible (non le visible). »
– Rouillé A., La photographie : entre document et art contemporain
Les œuvres de Lina Benzerti naissent d’antagonismes, elles s’affirment dans un tiers lieu, un espace où les paradoxes deviennent féconds. Du droit aux beaux-arts, du passé au présent, de l’allopathie aux médecines douces, du numérique à l’argentique ; ces oscillations nous ouvrent les portes d’un monde et d’une pratique hybride et plurivoque.
Le Patrimoine sentimental de Lina Benzerti campe un atlas familial et familier sur les cimaises ou sur le sol, révèle les blessures transgénérationnelles, des rituels de transmissions, de guérison. La photographie devient alors un lieu où l’artiste renoue avec son histoire et son itinéraire familial. Dans ses images, elle souligne leur pouvoir évocateur, leur don de résilience. La photographie donne ainsi l’impression d’avoir son existence propre, se fait plus présente, elle : « arrête, fige, sidère, embaume le temps » [1]. Ces images n’ont pas d’âge, les instants se fixent sur les cyanotypes virés. Les moments de vie s’impriment pudiquement à travers ces halos incertains désormais gardiens d’une mémoire familiale.
Chaque image est un mot qui trouve sa place et sa signification dans la grammaire visuelle de l’accrochage. Y naissent alors des histoires à la fois intimes et universelles, des récits qui se racontent à la première personne dans les autoportraits où la présence fragmentée de l’artiste apparaît seule dépositaire de la réalité.
Une réalité qu’elle vient parfois panser de textiles, pour passer plus de temps encore avec ces images lourdes de sentiments. Elle coud comme elle réparerait les traumatismes familiaux. L’instantanéité du smartphone disparaît derrière un nouveau rapport au temps. Ces « images impatientes » comme Lina Benzerti aiment à les appeler, se domptent et, dociles, trouvent leur chemin et leur signification dans l’atlas visuel de l’artiste.
Dans la variété des médiums, ses œuvres palpitent entre fiction et réalité allant à l’occasion jusqu’à se mettre en mouvement et ainsi cheminer plus loin encore dans les histoires à raconter.
[1] Rouillé A., La photographie : entre document et art contemporain, p. 288
Jeanne Mathas